Je n'aimais pas beaucoup l'odeur de la mort. Ni celle des égouts, naturellement. Mais lorsque les deux s'associaient en une atmosphère putride, il m'était presque impossible de respirer. Métaphoriquement parlant, puisque cela faisait au moins six ans que je ne respirais plus.
Fossoyeuse pouvait bien être dégoûtante, elle n'en restait pas moins intéressante pour quiconque s'intéressait à son architecture. Le vaste réseau de souterrains était organisé en quartiers bien distincts où chaque rejeton du fléau vaquait à ses occupations morbides, et les entrées étaient si étroites qu'aucune armée ne pouvait espérer s'y infiltrer pour y mener un assaut.
Mais plus personne ne portait d'attention sur les morts-vivants, ces temps-ci. L'Alliance comme la Horde s'étaient engagées dans une offensive cruciale pour la survie de ce monde, et un certain climat de paix s'était peu à peu installé en Azeroth.
Cependant, Sylvanas comptait bien y mettre un terme.
- Tu es en retard, me lanca-t-elle d'une voix glaciale lorsqu'elle m'aperçut à l'entrée de son sanctuaire.
Sans dissimuler mon agacement, je dévisageais la reine Banshee avec fascination.
- J'aurais pu arriver à l'heure si tu avais prévenu tes nouvelles recrues de mon arrivée, répliquais-je avec mauvaise humeur. Tes Val'kyr vont avoir du travail.
Ses lèvres se fendirent d'un sourire amusé tandis qu'elle s'avança vers moi d'un pas souple et harmonieux, congédiant d'un geste de la main les abominations qui gardaient la pièce circulaire dans laquelle nous nous trouvions.
- J'ai été surprise d'apprendre que tu avais décidé de rester dans le... présent, reprit-elle en adoptant une attitude plus détendue. Je t'imaginais bien franchir le portail la première.
C'était sa manière à elle d'entrer dans le vif du sujet. Elle avait eu vent de ma présence dans les alentours et m'avait convoquée pour une bonne raison. Me sachant disponible, elle avait sans doute une tâche ingrate à me confier. Et elle savait que je l'accepterais sans l'ombre d'une hésitation.
- Désolée de te décevoir, répondis-je sur le ton de la conversation. Qu'attends-tu de moi, cette fois-ci ?
Son sourire ne fit que s'élargir, et je tentai malgré moi de contenir mon impatience. Elle caressa lentement ma joue du bout de ses doigts, et je sentis un frisson parcourir mon échine.
- Belle, dangereuse et tellement perspicace, murmura-t-elle en plongeant ses yeux laiteux dans les miens.
Elle marqua une pause puis sortit de sa tunique une affiche bardée d'or et de pourpre.
- Connais-tu l'Ost Pourpre ? me demanda-t-elle finalement.
J'acquiesçai d'un bref signe de tête.
- Difficile d'ignorer leurs crieurs à Hurlevent, répondis-je en songeant à tous ces idiots qui vantaient les mérites d'obscures associations en échange de quelques pièces d'or. C'est un ordre militaire qui souhaite éradiquer les morts-vivants, rebâtir Lordaeron et instaurer la paix dans le monde, c'est ça ?
Je m'attendais à ce que Sylvanas renchérisse avec un sarcasme dont elle seule connaissait le secret, mais elle n'en fit rien. Au contraire, elle semblait soucieuse. C'était bien la première fois qu'elle laissait filtrer ce genre d'émotions en ma présence, et je me délectais de cette faiblesse inattendue.
- Il semblerait qu'ils soient plus que cela, répondit-elle après un moment d'hésitation. J'ai beau avoir des espions dissimulés aux quatre coins du continent, les informations les concernant sont presque inexistantes. Pourtant, leurs actions contre mon peuple résonnent comme un requiem à mon effigie...
La reine Banshee me tendit le parchemin et ajouta :
- Tu vas rejoindre leurs rangs. Gagner leur confiance. Les détruire de l'intérieur.
Je saisis l'affiche avec précaution et la pliai soigneusement avant de la ranger.
- Considère que c'est fait, déclarai-je d'une voix blanche.
J'avançais au galop depuis une heure sous une pluie battante, tandis que le crépuscule laissant doucement sa place à l'obscurité de la nuit naissante. Pour l'occasion, j'avais laissé dans mes écuries mon destrier mort-vivant au profit d'une monture plus traditionnelle.
Depuis mon entrevue avec Sylvanas, j'avais essayé de glaner ici et là des informations sur l'Ost Pourpre, mais il s'avérait que les doutes de la reine Banshee étaient bien fondés. L'ordre ne laissait aucune trace, mis à part leurs horribles affiches sur les murs. Même si je n'avais rien contre l'or - quelle que soit sa forme, je détestais le violet.
Je n'avais cependant pas eu le temps de souffler. Depuis le départ des troupes, toute aide était la bienvenue et je m'étais évertuée à soutenir du mieux possible les humains dans le besoin.
Si un seul membre de l'Ost avait vent de mon altruisme, cela pourrait faciliter mon infiltration au sein de leurs rangs.
Lorsque j'aperçus enfin la Garnison du Ruisseau de l'Ouest, je descendis de mon cheval et repoussai en arrière une mèche de cheveux détrempée. Sans lâche la bride de ma monture, je progressai tant bien que mal sur le sol boueux jusqu'à l'entrée de la fortification.
Une silhouette se tenait à quelques mètres devant moi, mais le rideau de pluie était si épais que je ne parvenais pas à distinguer qui que ce soit.
- Je viens pour le recrutement ! criai-je d'une voix mal assurée. Je m'appelle Elyndiä, et si je n'étais pas déjà morte, je serais sûrement malade à l'heure qu'il est...