Chapitre I : "Mon nom est Freckles"
Chapitre II : "Correspondances"
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Forgefer
Auberge de Kumrha
Voilà plusieurs semaines qu’elle avait élu domicile à Forgefer. La vieille Kumrha était une naine charmante et chaleureuse à l'instinct maternel très développé et au sens pratique inégalable. Il avait suffit de prononcer le nom d'"Archibald Demes" pour abattre toute méfiance de sa part et les quelques jours passés en sa compagnie avait achevé tout travail de résistance. Freckles faisait désormais partie de la famille et des meubles poussiéreux de la vieille enseigne qui n'accueillait que de rares habitués. Elle donnait quelques coups de main louables au service ou pour faire le ménage, afin de tromper l'ennui.
La jeune fille attendait désespérément des nouvelles de son seul allié mais aucun courrier, et encore moins de visite, ne lui permettait d'étancher sa soif de renseignements. Son angoisse allait grandissante et la perspective d'avoir pu se fourvoyer dans ses calculs l'empêchait de convenablement trouver le sommeil.
Par ailleurs une curiosité dévorante pour le personnage de sa mère lui grignotait les boyaux. Elle refrénait de plus en plus difficilement l'envie de provoquer le destin : une rencontre anodine dans les rue d'Hurlevent, un courrier anonyme dans sa boite aux lettre... Quel mal cela pouvait-il faire à la trame du temps ? Parfois, il lui prenait l'audace d'emprunter le tramway et de se rendre là où la Baronne de Sangre avait coutume d'avoir ses ardoises. Mais elle rebroussait presque aussitôt chemin, effrayée par sa propre inconscience.
Une fois même, le bruit avait couru que la Caravane des Contes se déplaçait à Gnomeragan. Elle avait bravé la neige et sa propre inquiétude pour observer le cortège au loin. Elle avait pu entrapercevoir la tête rousse et le port altier de sa mère emmitouflée de fourrures dont elle n'avait visiblement pas besoin. Elle semblait houspiller un jeune homme brun et mal attifé, son cadet de quelques années, et ce avec une brusquerie affectueuse qui fit naitre une sentiment diffus de jalousie dans le cœur de la petite Voyageuse du Temps.
En revenant de sa coupable escapade, Kumrha lui avait fait savoir qu'un paquet était arrivé pour elle. Le cœur battant et plein d'espoirs, elle avait gravit les escaliers quatre à quatre jusqu'à la pièce mansardée qui lui servait de chambrette.
+Musique+
Là sur le lit, trônait un colis, empaqueté avec un soins méticuleux. Pas d'expéditeur. Pas de mention écrite autre que "Freckles" étalée avec maladresse sur le papier chiffonné. Intriguée, elle l'ouvrit, d'abord avec lenteur, ensuite avec une certaine fébrilité, à mesure que se dessinaient les arrêtes de l'objet. Elle lâcha brusquement la chose sur le lit, effrayée par ce qui venait d'immergé des feuillets et retombait mollement au milieu des draps.
C'était un coffret de facture naine, très ancien. La patine du bois, laissait pourtant voir la finesses des arabesques et des oriflammes finement gravés. La serrure était d'or, un or martelé par les sombres-fers à l'évidence et au vue des reflets particuliers du métal à la lueur des bougies.
Karin connaissait cette cassette.
Oh oui, elle la connaissait bien.
Mais sa présence était incongrue, impossible, improbable !
Elle toucha par réflexe sa poitrine, pour sentir la forme du pendentif caché sous son lainage. La peur s'instilla dans son esprit comme un poison violent. Comment ? Pourquoi ?
Elle s'approcha de l'objet en frissonnant sans pour autant oser le toucher. Puis extirpa vivement de son corsage ce qui pendait au bout de sa chaine. La clé était là, héritée de mère en fille, de tante à nièce, de Baronne en Baronne. Un vestige d'un temps passé et perdu.
Avec beaucoup de réticence, elle glissa la clé dans sa serrure qui épousa ses formes avec une perfection absolue. Elle la fit pivoter par trois fois, lentement, chaque déclic vers l'ouverture accentuant sa peur. Le couvercle s’ouvrit avec une mécanique usée, sur une abîme sombre et noire, un puits sans fond, une porte sur le néant.
Car ainsi avait été conçu ce coffret pour feu Eucharistie de Sangre, un artefact unique et particulier permettant de dissimuler dans une autre dimension les secrets familiaux les plus sombres et parfois même de les faire transiter.
Karin déglutit puis ferma les yeux.
Prenant son courage à deux mains elle plongea le bras dans la gueule opaque. Au départ elle n'éprouve que du dégout, un froid mordant et le picotement typique de la transposition arcanique. Et puis ses doigts effleurèrent quelque chose, un morceaux de papier plié. Elle l'attrapa et se retira de la bouche avec un empressement angoissé. Lentement, le cerveau ankylosé par une multitude de questions dont les réponses la plongeaient un peu plus dans la confusion, elle déplia la mystérieuse missive.
La calligraphie était malhabile, difficile, parfois effacée laissant à penser que le rédacteur n'était pas un habitué de la plume ou qu'il avait du se précipiter.
Qui ?! QUI ?!
" Le temps peut être réécrit. Il se réécr[...]ables mouvants . N'ai aucune certitude, Karin, et observe. L'anomalie n'est p[...].
[initiale illisible] M de S"
Karin trembla de tous ses membres et le regard éperdu pivota sur elle même, comme si un démon se tapissait dans les ombres pour lui fondre dessus. La terreur indicible de l'inconnu venait soudain de lui agripper les entrailles pour la paralyser.
Le message était clair : Rien ne se passerait comme prévu.