Evolution professionnelle
Posté : jeu. 03 mars, 2011 7:32 pm
- Les barricades de l'escalier Nord ont cédé ! Ils arrivent !
Une panique sans nom se généralisa parmi les étudiants, dont la plupart erraient ça et là sans trop savoir quoi faire. Leur domaine, c'était l'étude, la recherche, la réflexion et l'expérimentation. La guerre, en revanche, c'était une réalité bien lointaine, et jamais aucun d'entre eux n'avait imaginé la voir débarquer dans leur école avec son cortège de drames. Les quelques gardes que l'endroit comptait étaient débordés, tant par l'avancée de l'adversaire que par la gestion des jeunes gens affolés, terrorisés à l'idée d'une fin que personne n'aurait imaginée il y a quelques mois encore.
Des cris retentirent dans les couloirs alors que les soldats ennemis pénétraient avec fracas dans les dortoirs où s'étaient entassés ceux qui n'avaient pas eu le temps de se réfugier dans les niveaux inférieurs. Les appels à la miséricorde se multiplièrent, mais aucun de ceux qui se terraient derrière les dernières barricades ne purent savoir si leurs amis en bénéficièrent bel et bien : dans tous les cas, ils étaient perdus pour l'école, et leur destin ne leur appartenait déjà plus. Sans doute, une mort rapide était ce qu'ils pouvaient attendre de plus généreux.
Bousculant une frêle jeune femme qui, sous le choc après avoir vu son compagnon disparaitre dans les rangs ennemis, restait plantée en pleurant au milieu des couloirs sans savoir quoi faire ni où aller, Alexei Barov pénétra dans un laboratoire qui avait en vérité tout d'un petit appartement coquet.
- Vous pourriez frapper avant d'entrer.
Alexei avisa l'occupant des lieux de son regard de glace. Il n'avait jamais aimé l'alchimiste.
- Murmegivre est assiégé dans son laboratoire. Les forces de la Croisade ne vont pas tarder à y entrer. La liche est perdue.
L'annonce ne sembla pas troubler Falstaf qui, indolent, poursuivit sa tâche sans affecter de répondre à son interlocuteur.
- La Scholomance est perdue, baron. Tirion Fordring en personne mène l'assaut. Nous devons fuir.
- Généreuse idée ! Que proposez-vous ?
- Stratholme pourrait nous accueillir.
- En voilà une ambition ! Et ce n’est pas comme si la ville n’était pas elle-même assiégée, pas vrai ?
Alexei allait répondre quand de nouveaux hurlements s'élevèrent dans les couloirs. Une secousse ébranla les murs de l'école, et l'ancien chef de la famille Barov sentit un poids supplémentaire sur ses épaules.
- Murmegivre aura préféré se faire sauter plutôt que de tomber entre les mains des croisés...
- Il n'a pas tort, remarquez. Vu les horreurs que nos vainqueurs vont trouver dans nos placards, c'est sans doute ce qu'il y a de mieux à faire.
Alexei sentit une boule se former dans sa gorge. Voilà de bien longues années, il avait voué sa vie et sa lignée à un nouveau maitre, à une nouvelle idéologie, à un nouveau monde. Tous trois s'étaient effondrés, et il allait bientôt les suivre.
- Remarquez, poursuivit Falstaf en passant outre les atermoiements intérieurs de l'aristocrate déchu, ce bon vieux Ras nous a peut-être offert une échappatoire intéressante. Beaucoup de croisés ont dû mourir dans cette explosion.
- Il en faudra beaucoup plus pour les arrêter, Fordring est venu en force.
Falstaf haussa les épaules. Ses geists finissaient de remplir ses valises de costumes du dernier chic, de produits mystérieux et de liasses de documents dont le contenu ne devait pas tomber entre les mains de l'ennemi. Après un dernier regard nostalgique pour l'appartement qu'il avait meublé avec tant de goût au cours des dernières années, Falstaf s'empara de la pipe que Kel'thuzad lui avait offert au début de leur collaboration, puis passa son manteau et, suivi de ses créatures, quitta son bureau pour plonger dans la panique des derniers habitants de la Scholomance, Alexei Barov sur ses pas.
- Où allez-vous ? lança l'ancien maitre de Caer Darrow, un peu las.
- Bien que l'idée de découvrir quel sort le vertueux Fordring nous réserve me passionne - vous nous imaginez au milieu d'un procès ? Ce serait cocasse - j'avoue être très attaché aux petits plaisirs de la vie. Je serais très déçu de ne plus en profiter.
Alexei suivit Falstaf sans trop savoir pourquoi. Sa femme et sa fille aînée étaient mortes, ou aux mains des croisés. Le rêve né à Caer Darrow était fini. Autant le suivre jusqu'au bout.
L'étrange équipage croisa un certain nombre d'anciennes gloires de la Scholomance qui, sous la houlette du Sombre Maitre Gandling, tentaient de réunir les survivants pour un ultime baroud face aux envahisseurs. Falstaf attendit patiemment que les derniers défenseurs de l'école remontent les escaliers pour un combat perdu d'avance, puis jeta un coup d'œil sur les quelques étudiants qui, transis de peur, restaient prostrés en attendant la venue du courroux vengeur des si nobles croisés d'argent. De son bras unique, il désigna la lourde porte doublée de fer qui séparait les niveaux les plus bas de la Scholomance des étages déjà conquis par les envahisseurs.
- Barricadez-moi ça, les enfants.
La sereine autorité de leur professeur parvint à secouer quelque peu les élèves, qui fermèrent la porte et la renforcèrent au moyen de cales et de tonneaux. C'était là le seul moyen d'accès aux ultimes salles de la Scholomance et bientôt, serrés les uns contre les autres, les occupants des lieux firent silence, attendant fébrilement la suite des évènements.
Moins d'une heure plus tard, une voix de stentor s'éleva de l'autre côté de la barricade.
- Valets du Fléau ! Vos maitres sont morts ou captifs. Rendez-vous, et votre jugement sera digne et juste.
Un nouveau vent de panique s'éleva parmi les étudiants, qui se dispersa quand Falstaf s'approcha de la porte.
- Votre offre mérite réflexion, Fordring ! Revenez d'ici quelques jours, nous aurons l'occasion d'en reparler.
Un grondement sourd se fit entendre, avant que la voix du maître de la Croisade d'Argent ne s'élève à nouveau.
- Vous n'êtes plus qu'une poignée. La Scholomance est tombée, admettez-le, votre fin sera plus digne que ce que vos actes passés auraient mérité. Ne nous forcez pas à enfoncer la porte.
- Ce serait une très mauvaise idée, Généralissime. J'ai avec moi tout un tas de jeunes gens qui se sont découvert une soudaine admiration pour le tempérament explosif de mon défunt collègue Murmegivre.
Un silence inquiet plana de part et d'autre de la barricade, tandis que Falstaf attendait la réponse de son interlocuteur.
- Nos hommes sont prêts au sacrifice suprême.
- Eux, sans doute. Mais qu'en est-il des habitants de la région ?
- Que voulez-vous dire ?
- Entre autres travers, les gens d’ici ont pris la mauvaise habitude de rassembler tout un tas de produits relativement dangereux, et accessoirement toxiques, qui servent de matière première à nos expérimentations. Je me demande ce qu'il adviendrait si ces produits venaient à être collégialement soumis à une vive explosion. Il est probable qu'aucune forme de vie ne survivrait à des dizaines de lieues à la ronde, peut-être même jusqu'à Atreval.
Cette fois-ci, le coup semblait avoir porté.
- Vous ne resterez pas ici éternellement. Il faudra bien que vous mangiez.
- Merci pour votre sollicitude, nous vous ferons parvenir notre commande dans les plus brefs délais.
Falstaf entendit presque le paladin sourire de l'autre côté de la porte.
- Vous semblez un homme raisonnable. Vous savez que votre cause est perdue. N'ajoutez pas le sang au sang.
- J'aurais grand plaisir à discuter avec vous autour d'une bonne bouteille. D'ici à ce que vous trouviez un cépage suffisamment plaisant pour nous deux, je pense que je vais attendre ici.
Un bruit de pas se fit entendre, et Falstaf devina que Fordring s'en était allé. Il se tourna vers les étudiants, qui le regardaient avec espoir.
- Mes enfants, nous devons admettre que le paladin a raison sur un point. Notre rêve d'un monde meilleur a vécu. Le monde a changé, et nous allons devoir changer avec lui, sous peine d'être relégués aux oubliettes de l'Histoire.
- Que proposez-vous ?, lança Alexei Barov, soudain plus inquiet des initiatives du baron que de la menace des croisés.
- Nous devons sortir d'ici et retrouver le monde. Nous mêler à lui, et épouser notre temps. Vous avez été bien formés, durant toutes ces années. Je ne doute pas que vous trouviez tous un emploi auprès de nouveaux maîtres.
Les élèves se regardèrent les uns les autres, partagés entre l'espoir de survie et l'angoisse d'être séparés de leurs condisciples, livrés à eux-mêmes dans ce vaste monde contre lequel ils s'étaient ligués.
- Vous comptez dissoudre la Scholomance ? Alexei Barov n'en croyait pas ses oreilles.
- Non. C'est le Culte des Damnés que je dissous.
Le choc était tel que Alexei vit rouge. En l'absence des dizaines d'étudiants qui le regardaient présentement, il aurait sans doute abattu l'alchimiste sur place.
- De toute manière, nous parlons en vain. Nous sommes enfermés ici. Et votre menace n'arrêtera pas les croisés très longtemps.
Falstaf s'intéressa aux étudiants. Les deux tiers d'entre eux, les plus jeunes, étaient sans doute prêts à le suivre. Les plus anciens, et les plus fanatiques, seraient incapables de survivre dans le nouveau monde.
- Il existe un chemin, seulement connu de quelques uns, qui a été creusé en secret au cours des dernières années, en prévision d'une telle situation. Je me propose de l'emprunter, avec ceux qui souhaitent m'accompagner.
Alexei Barov serra les poings. Caer Darrow appartenait à sa famille depuis des générations. Il l'avait offerte au Culte aux débuts du Fléau, et on lui avait caché des travaux qui y avaient été menés. Cette dernière humiliation fit basculer son choix.
- Je ne partirai pas avec des traitres. Nous sommes le Fléau, à présent, et je ne romprai pas les voeux que j'ai prononcés.
Une petite dizaine de cultistes à peine se réunit autour de l'ancien seigneur de Caer Darrow, le reste des étudiants se pressant dans le camp de Falstaf. Ce dernier approcha d'Alexei et lui tendit la main.
- Bonne chance à vous, alors. C'était un plaisir de travailler avec vous tout au long de ces années. J'espère que Stratholme pourra vous venir en aide.
Alexei Barov répondit sèchement à la poignée de main, puis s'écarta en vrillant du regard tous ceux qui s'étaient rangés derrière le baron. La plupart d'entre eux baissaient la tête, honteux du nouvel espoir qui étreignait leur coeur. Falstaf et sa petite délégation quittèrent les lieux, prenant un couloir rarement utilisé qui débouchait sur un fatras d'ossements et de déchets qui s'effacèrent aussitôt l'abaissement d'un levier caché, révélant un escalier d'où provenait un délicieux air frais. Les jeunes gens suivirent Falstaf et ses geists dans l'étroit passage pendant une vingtaine de minutes, avant de déboucher à l'air libre, de l'autre côté du lac au sein duquel trônait l'île de Caer Darrow. Un peu mélancoliques, les élèves jetèrent un dernier regard à leur école, et sursautèrent quand une ultime explosion la secoua.
- Et voilà, nous sommes tous morts. Falstaf réunissait ses affaires, que les geists avaient mélangées. Ayons une pensée pour le sacrifice involontaire de nos camarades restés sur place. La Croisade aurait eu des soupçons de ne trouver aucun corps. A présent, nous sommes libres.
- Qu'allons-nous faire à présent ?
- Vous êtes jeunes. Falstaf finit de répartir la charge entre ses petits serviteurs. Vous êtes talentueux. Je suis sûr que vous trouverez facilement un nouvel emploi. Restez donc dans la région, on aura sans doute besoin de vos compétences dans la guerre qui s'annonce contre les réprouvés, vous ne serez pas dépaysés. Ou vous pouvez rejoindre le Marteau du Crépuscule, si vous avez envie de troquer une illusion pour une autre, à n'en pas douter vous serez comme des poissons dans l'eau. Sinon, il parait que la vie est douce à Hurlevent.
L'angoisse étreignait le coeur des anciens élèves de la Scholomance. Ils étaients seuls, à présent.
- Alors c'est vraiment fini ? demanda une jeune femme à l'air juvénile.
Falstaf s'arrêta, un soupir mourant sur ses lèvres. Au loin, les derniers cris d'agonie de la Scholomance s'estompaient, tandis que l'étendard de la Croisade d'Argent était hissé au sommet du donjon.
- Oui. C'est fini.
***
Trois semaines plus tard
Garnison du Ruisseau de l'Ouest
Forêt d'Elwynn
Milieu de journée
Le carrosse s'ébranla sitôt le voyageur et ses valises descendus à terre. Tiré à quatre épingles et rasé de frais, Falstaf de Winhler laissa son regard courir sur le haut bâtiment, qu'il avait déjà visité une fois, quelques années auparavant. Laissant ses effets personnels à la garde silencieuse du chêne près duquel ils avaient été entreposés, le baron remonta le sentier vers l'entrée de la Garnison, cherchant du regard une personne auprès de laquelle il pourrait s'annoncer.
- Ce que la vie est surprenante, chuchota-t-il, amusé, en s'arrêtant devant les hautes portes du bâtiment. Je me demande si l'on mange bien, ici.
Une panique sans nom se généralisa parmi les étudiants, dont la plupart erraient ça et là sans trop savoir quoi faire. Leur domaine, c'était l'étude, la recherche, la réflexion et l'expérimentation. La guerre, en revanche, c'était une réalité bien lointaine, et jamais aucun d'entre eux n'avait imaginé la voir débarquer dans leur école avec son cortège de drames. Les quelques gardes que l'endroit comptait étaient débordés, tant par l'avancée de l'adversaire que par la gestion des jeunes gens affolés, terrorisés à l'idée d'une fin que personne n'aurait imaginée il y a quelques mois encore.
Des cris retentirent dans les couloirs alors que les soldats ennemis pénétraient avec fracas dans les dortoirs où s'étaient entassés ceux qui n'avaient pas eu le temps de se réfugier dans les niveaux inférieurs. Les appels à la miséricorde se multiplièrent, mais aucun de ceux qui se terraient derrière les dernières barricades ne purent savoir si leurs amis en bénéficièrent bel et bien : dans tous les cas, ils étaient perdus pour l'école, et leur destin ne leur appartenait déjà plus. Sans doute, une mort rapide était ce qu'ils pouvaient attendre de plus généreux.
Bousculant une frêle jeune femme qui, sous le choc après avoir vu son compagnon disparaitre dans les rangs ennemis, restait plantée en pleurant au milieu des couloirs sans savoir quoi faire ni où aller, Alexei Barov pénétra dans un laboratoire qui avait en vérité tout d'un petit appartement coquet.
- Vous pourriez frapper avant d'entrer.
Alexei avisa l'occupant des lieux de son regard de glace. Il n'avait jamais aimé l'alchimiste.
- Murmegivre est assiégé dans son laboratoire. Les forces de la Croisade ne vont pas tarder à y entrer. La liche est perdue.
L'annonce ne sembla pas troubler Falstaf qui, indolent, poursuivit sa tâche sans affecter de répondre à son interlocuteur.
- La Scholomance est perdue, baron. Tirion Fordring en personne mène l'assaut. Nous devons fuir.
- Généreuse idée ! Que proposez-vous ?
- Stratholme pourrait nous accueillir.
- En voilà une ambition ! Et ce n’est pas comme si la ville n’était pas elle-même assiégée, pas vrai ?
Alexei allait répondre quand de nouveaux hurlements s'élevèrent dans les couloirs. Une secousse ébranla les murs de l'école, et l'ancien chef de la famille Barov sentit un poids supplémentaire sur ses épaules.
- Murmegivre aura préféré se faire sauter plutôt que de tomber entre les mains des croisés...
- Il n'a pas tort, remarquez. Vu les horreurs que nos vainqueurs vont trouver dans nos placards, c'est sans doute ce qu'il y a de mieux à faire.
Alexei sentit une boule se former dans sa gorge. Voilà de bien longues années, il avait voué sa vie et sa lignée à un nouveau maitre, à une nouvelle idéologie, à un nouveau monde. Tous trois s'étaient effondrés, et il allait bientôt les suivre.
- Remarquez, poursuivit Falstaf en passant outre les atermoiements intérieurs de l'aristocrate déchu, ce bon vieux Ras nous a peut-être offert une échappatoire intéressante. Beaucoup de croisés ont dû mourir dans cette explosion.
- Il en faudra beaucoup plus pour les arrêter, Fordring est venu en force.
Falstaf haussa les épaules. Ses geists finissaient de remplir ses valises de costumes du dernier chic, de produits mystérieux et de liasses de documents dont le contenu ne devait pas tomber entre les mains de l'ennemi. Après un dernier regard nostalgique pour l'appartement qu'il avait meublé avec tant de goût au cours des dernières années, Falstaf s'empara de la pipe que Kel'thuzad lui avait offert au début de leur collaboration, puis passa son manteau et, suivi de ses créatures, quitta son bureau pour plonger dans la panique des derniers habitants de la Scholomance, Alexei Barov sur ses pas.
- Où allez-vous ? lança l'ancien maitre de Caer Darrow, un peu las.
- Bien que l'idée de découvrir quel sort le vertueux Fordring nous réserve me passionne - vous nous imaginez au milieu d'un procès ? Ce serait cocasse - j'avoue être très attaché aux petits plaisirs de la vie. Je serais très déçu de ne plus en profiter.
Alexei suivit Falstaf sans trop savoir pourquoi. Sa femme et sa fille aînée étaient mortes, ou aux mains des croisés. Le rêve né à Caer Darrow était fini. Autant le suivre jusqu'au bout.
L'étrange équipage croisa un certain nombre d'anciennes gloires de la Scholomance qui, sous la houlette du Sombre Maitre Gandling, tentaient de réunir les survivants pour un ultime baroud face aux envahisseurs. Falstaf attendit patiemment que les derniers défenseurs de l'école remontent les escaliers pour un combat perdu d'avance, puis jeta un coup d'œil sur les quelques étudiants qui, transis de peur, restaient prostrés en attendant la venue du courroux vengeur des si nobles croisés d'argent. De son bras unique, il désigna la lourde porte doublée de fer qui séparait les niveaux les plus bas de la Scholomance des étages déjà conquis par les envahisseurs.
- Barricadez-moi ça, les enfants.
La sereine autorité de leur professeur parvint à secouer quelque peu les élèves, qui fermèrent la porte et la renforcèrent au moyen de cales et de tonneaux. C'était là le seul moyen d'accès aux ultimes salles de la Scholomance et bientôt, serrés les uns contre les autres, les occupants des lieux firent silence, attendant fébrilement la suite des évènements.
Moins d'une heure plus tard, une voix de stentor s'éleva de l'autre côté de la barricade.
- Valets du Fléau ! Vos maitres sont morts ou captifs. Rendez-vous, et votre jugement sera digne et juste.
Un nouveau vent de panique s'éleva parmi les étudiants, qui se dispersa quand Falstaf s'approcha de la porte.
- Votre offre mérite réflexion, Fordring ! Revenez d'ici quelques jours, nous aurons l'occasion d'en reparler.
Un grondement sourd se fit entendre, avant que la voix du maître de la Croisade d'Argent ne s'élève à nouveau.
- Vous n'êtes plus qu'une poignée. La Scholomance est tombée, admettez-le, votre fin sera plus digne que ce que vos actes passés auraient mérité. Ne nous forcez pas à enfoncer la porte.
- Ce serait une très mauvaise idée, Généralissime. J'ai avec moi tout un tas de jeunes gens qui se sont découvert une soudaine admiration pour le tempérament explosif de mon défunt collègue Murmegivre.
Un silence inquiet plana de part et d'autre de la barricade, tandis que Falstaf attendait la réponse de son interlocuteur.
- Nos hommes sont prêts au sacrifice suprême.
- Eux, sans doute. Mais qu'en est-il des habitants de la région ?
- Que voulez-vous dire ?
- Entre autres travers, les gens d’ici ont pris la mauvaise habitude de rassembler tout un tas de produits relativement dangereux, et accessoirement toxiques, qui servent de matière première à nos expérimentations. Je me demande ce qu'il adviendrait si ces produits venaient à être collégialement soumis à une vive explosion. Il est probable qu'aucune forme de vie ne survivrait à des dizaines de lieues à la ronde, peut-être même jusqu'à Atreval.
Cette fois-ci, le coup semblait avoir porté.
- Vous ne resterez pas ici éternellement. Il faudra bien que vous mangiez.
- Merci pour votre sollicitude, nous vous ferons parvenir notre commande dans les plus brefs délais.
Falstaf entendit presque le paladin sourire de l'autre côté de la porte.
- Vous semblez un homme raisonnable. Vous savez que votre cause est perdue. N'ajoutez pas le sang au sang.
- J'aurais grand plaisir à discuter avec vous autour d'une bonne bouteille. D'ici à ce que vous trouviez un cépage suffisamment plaisant pour nous deux, je pense que je vais attendre ici.
Un bruit de pas se fit entendre, et Falstaf devina que Fordring s'en était allé. Il se tourna vers les étudiants, qui le regardaient avec espoir.
- Mes enfants, nous devons admettre que le paladin a raison sur un point. Notre rêve d'un monde meilleur a vécu. Le monde a changé, et nous allons devoir changer avec lui, sous peine d'être relégués aux oubliettes de l'Histoire.
- Que proposez-vous ?, lança Alexei Barov, soudain plus inquiet des initiatives du baron que de la menace des croisés.
- Nous devons sortir d'ici et retrouver le monde. Nous mêler à lui, et épouser notre temps. Vous avez été bien formés, durant toutes ces années. Je ne doute pas que vous trouviez tous un emploi auprès de nouveaux maîtres.
Les élèves se regardèrent les uns les autres, partagés entre l'espoir de survie et l'angoisse d'être séparés de leurs condisciples, livrés à eux-mêmes dans ce vaste monde contre lequel ils s'étaient ligués.
- Vous comptez dissoudre la Scholomance ? Alexei Barov n'en croyait pas ses oreilles.
- Non. C'est le Culte des Damnés que je dissous.
Le choc était tel que Alexei vit rouge. En l'absence des dizaines d'étudiants qui le regardaient présentement, il aurait sans doute abattu l'alchimiste sur place.
- De toute manière, nous parlons en vain. Nous sommes enfermés ici. Et votre menace n'arrêtera pas les croisés très longtemps.
Falstaf s'intéressa aux étudiants. Les deux tiers d'entre eux, les plus jeunes, étaient sans doute prêts à le suivre. Les plus anciens, et les plus fanatiques, seraient incapables de survivre dans le nouveau monde.
- Il existe un chemin, seulement connu de quelques uns, qui a été creusé en secret au cours des dernières années, en prévision d'une telle situation. Je me propose de l'emprunter, avec ceux qui souhaitent m'accompagner.
Alexei Barov serra les poings. Caer Darrow appartenait à sa famille depuis des générations. Il l'avait offerte au Culte aux débuts du Fléau, et on lui avait caché des travaux qui y avaient été menés. Cette dernière humiliation fit basculer son choix.
- Je ne partirai pas avec des traitres. Nous sommes le Fléau, à présent, et je ne romprai pas les voeux que j'ai prononcés.
Une petite dizaine de cultistes à peine se réunit autour de l'ancien seigneur de Caer Darrow, le reste des étudiants se pressant dans le camp de Falstaf. Ce dernier approcha d'Alexei et lui tendit la main.
- Bonne chance à vous, alors. C'était un plaisir de travailler avec vous tout au long de ces années. J'espère que Stratholme pourra vous venir en aide.
Alexei Barov répondit sèchement à la poignée de main, puis s'écarta en vrillant du regard tous ceux qui s'étaient rangés derrière le baron. La plupart d'entre eux baissaient la tête, honteux du nouvel espoir qui étreignait leur coeur. Falstaf et sa petite délégation quittèrent les lieux, prenant un couloir rarement utilisé qui débouchait sur un fatras d'ossements et de déchets qui s'effacèrent aussitôt l'abaissement d'un levier caché, révélant un escalier d'où provenait un délicieux air frais. Les jeunes gens suivirent Falstaf et ses geists dans l'étroit passage pendant une vingtaine de minutes, avant de déboucher à l'air libre, de l'autre côté du lac au sein duquel trônait l'île de Caer Darrow. Un peu mélancoliques, les élèves jetèrent un dernier regard à leur école, et sursautèrent quand une ultime explosion la secoua.
- Et voilà, nous sommes tous morts. Falstaf réunissait ses affaires, que les geists avaient mélangées. Ayons une pensée pour le sacrifice involontaire de nos camarades restés sur place. La Croisade aurait eu des soupçons de ne trouver aucun corps. A présent, nous sommes libres.
- Qu'allons-nous faire à présent ?
- Vous êtes jeunes. Falstaf finit de répartir la charge entre ses petits serviteurs. Vous êtes talentueux. Je suis sûr que vous trouverez facilement un nouvel emploi. Restez donc dans la région, on aura sans doute besoin de vos compétences dans la guerre qui s'annonce contre les réprouvés, vous ne serez pas dépaysés. Ou vous pouvez rejoindre le Marteau du Crépuscule, si vous avez envie de troquer une illusion pour une autre, à n'en pas douter vous serez comme des poissons dans l'eau. Sinon, il parait que la vie est douce à Hurlevent.
L'angoisse étreignait le coeur des anciens élèves de la Scholomance. Ils étaients seuls, à présent.
- Alors c'est vraiment fini ? demanda une jeune femme à l'air juvénile.
Falstaf s'arrêta, un soupir mourant sur ses lèvres. Au loin, les derniers cris d'agonie de la Scholomance s'estompaient, tandis que l'étendard de la Croisade d'Argent était hissé au sommet du donjon.
- Oui. C'est fini.
***
Trois semaines plus tard
Garnison du Ruisseau de l'Ouest
Forêt d'Elwynn
Milieu de journée
Le carrosse s'ébranla sitôt le voyageur et ses valises descendus à terre. Tiré à quatre épingles et rasé de frais, Falstaf de Winhler laissa son regard courir sur le haut bâtiment, qu'il avait déjà visité une fois, quelques années auparavant. Laissant ses effets personnels à la garde silencieuse du chêne près duquel ils avaient été entreposés, le baron remonta le sentier vers l'entrée de la Garnison, cherchant du regard une personne auprès de laquelle il pourrait s'annoncer.
- Ce que la vie est surprenante, chuchota-t-il, amusé, en s'arrêtant devant les hautes portes du bâtiment. Je me demande si l'on mange bien, ici.